Exit

Recevez chaque semaine un article comme celui-là directement sur votre boite mail en vous abonnant (gratuitement) à La Lettre des Nouvelles Narrations.

Cet article a été originellement publié sur le site FMC Veille.

Les nouveaux formats narratifs sont un terrain fertile pour les créateurs sonores et les innovations se multiplient. Parmi elles, le son binaural est une technologie qui suscite un intérêt particulier. Notamment en raison de sa haute compatibilité avec les expériences mobiles et de réalité virtuelle, puisque le binaural nous donne l’impression d’être plongé dans un environnement sonore à 360°.

Pour comprendre le potentiel de ce son bien particulier, je suis allé à la rencontre d’Amaury Laburthe, fondateur des sociétés Audiogaming et Novelab, et créateur d’expériences interactives dans lesquelles la dimension sonore est souvent fondamentale. L’une de ses dernières coproductions, Notes on Blindness, a été presque universellement acclamé comme l’un des premiers chef d’oeuvres en réalité virtuelle. Une expérience où le son binaural, couplé à un environnement visuel fascinant, parvient à nous faire ressentir la réalité d’un homme frappé de cécité ! Petit teaser avant de commencer pour ceux et celles ne l’ayant pas vu :

Le son binaural, qu’a-t-il de si spécial ?

Nous reviendrons à Notes on Blindness, mais pas avant d’avoir abordé la nature même du son binaural. Curieusement, il s’agit d’une technologie dont les fondements remontent à plus d’un siècle ! Dès 1881, le Théâtrophone de l’ingénieur français Clément Ader permet d’écouter les représentations de l’Opéra Garnier à deux kilomètres à la ronde en portant deux combinés téléphoniques aux oreilles.

Bien entendu, le binaural d’aujourd’hui est autrement plus complexe mais l’idée fondatrice était déjà là : reproduire avec fidélité notre mode d’écoute naturel, qui nous permet notamment de situer des sons dans l’espace. Revêtez donc vos plus beaux écouteurs et écoutez cet enregistrement pour en faire l’expérience :

Depuis notre plus tendre enfance, notre cerveau a appris à déterminer la provenance spatiale d’un son en interprétant les très légers décalages de perception entre l’oreille droite et gauche. Le son binaural cherche à recréer une telle perception : un son vous semblera venir de la gauche s’il parvient un peu plus tard à l’oreille droite.

Ce décalage permettra donc de « tromper » notre cerveau et de lui faire croire à un environnement sonore « spatialisé »  lorsque nous revêtons notre casque audio. A l’inverse, un son stéréo écouté au casque ne nous donnera qu’une perception mono : le son semble provenir de l’intérieur de notre tête.

Cette perception binaurale, à 360°, se couple donc formidablement bien avec un environnement visuel de même nature : le tandem son binaural / réalité virtuelle est porteur de bien des promesses d’immersion. Il reste toutefois quelques obstacles à dépasser pour une expérience optimale…

Les contraintes du son binaural

La première contrainte est celle de l’écoute au casque bien entendu. Nous sommes aujourd’hui très nombreux a en avoir un sur nous en permanence mais cela n’a pas toujours été le cas. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi cette technologie a été quelque peu délaissée à l’époque du règne télévisuel : l’écoute au casque n’avait alors aucun sens…

Désormais, la généralisation du mobile et des équipements de réalité virtuelle redonnent à la technologie binaurale tout son intérêt. Mais la production d’un tel son rencontre une difficulté majeure.

Il ne s’agit pas tellement de la technique ou des coûts de production. « Ce n’est pas le même matériel donc il y a quelques coûts supplémentaires mais cela n’a rien de violent. Cela ne va pas quadrupler les coûts audio… », nous rassure Amaury Laburthe.

Non, la principale problématique posée par le son binaural est physique : nous n’avons pas tous la même tête et notre cerveau a appris à interpréter des signaux sonores qui nous sont propres.

Notre morphologie et la forme de notre pavillon vont influer sur la fréquence et l’amplitude du son qui nous parvient. Ma tête et mes oreilles n’ayant pas la même forme que les vôtres, nous ne percevrons pas de la même manière un enregistrement binaural.

« Pour les gens qui ont une tête très différente de la « tête moyenne » ils vont entendre un son qui n’est pas forcément très externalisé, voire presque stéréo. Cette limite-là n’est toujours pas réglée aujourd’hui ». Et quand Amaury parle ici de « tête moyenne », il ne s’agit pas d’une simple métaphore : la captation binaurale utilise le plus souvent deux micros placés dans une tête en silicone afin d’enregistrer le son tel qu’il est censé parvenir à nos oreilles.

Le son binaural peut aussi être produit en studio (et est alors qualifié de synthèse, par opposition en binaural natif). Un son binaural de synthèse est en réalité en son mono transformé par calcul mathématique grâce à des outils d’édition sonore spécifiques. C’est d’ailleurs cette méthode qui a été utilisée par les créateurs de Notes on Blindness, une oeuvre singulière où le son est le premier moteur de la narration.

Notes on Blindness, le son binaural au service de l’histoire

Notes on Blindness est avant tout un court-métrage magistral de Peter Middleton & James Spinney, qui valorise les enregistrements audio de John Hull, un théologien américain qui a consigné ainsi son expérience de sa perte progressive de la vue au début des années 1980. Le projet a ensuite été développé sous un format long-métrage avec ARTE, qui a également voulu produire une expérience numérique singulière.

Le résultat de cette démarche est l’oeuvre de réalité virtuelle Notes on Blindness VR, coproduite par Agat Films / Ex Nihilo, Archer’s Mark, Audiogaming et Arte.

« Dans ses Notes on Blindness, John Hull nous raconte les trois premières années pendant lesquelles son cerveau essaie de reconstituer quelque chose, jusqu’au moment où il dira, dans une de ses dernières cassettes, qu’il arrête de s’accrocher à ce qu’il connaissait avant et embrasse une perception d’aveugle.

Ses cassettes représentent une trentaine d’heures de son, soit entre 300 et 400 pages de transcription. Cela fait une sacrée base pour travailler ! J’ai donc commencé par repérer tous les passages qui parlaient de son et grâce lesquels on pouvait visualiser des choses. Pas seulement des passages descriptifs mais des passages où la lecture me procurait une vision de la scène », se rappelle Amaury.

Comme beaucoup d’oeuvres innovantes, Notes on Blindness a beaucoup évolué dans son format. Il devait au départ s’agir d’une application mobile, plus ludique que poétique. Tout cela a bien changé et le concept originel s’est enrichi d’une dimension visuelle en réalité virtuelle pour mieux raconter l’histoire de John Hull. Toutefois, une chose n’a pas bougé : l’importance donnée au son.

« Nous voulions un son très précis et très immersif. Nous savions que nous allions utiliser du binaural en temps réel. » En effet, tous les sons dans Notes on Blindness sont dits spatialisés, c’est-à-dire qu’ils correspondent à un positionnement précis dans l’espace. Par exemple si mon champ de vision correspond à cela :

… je percevrais donc le son du manège comme étant à ma gauche. Mais si je tourne la tête et que le manège passe à ma droite, alors le son binaural correspondant sera ajusté en temps réel pour me donner la bonne impression sonore…

« Le calcul est fait à fur et à mesure qu’on tourne la tête. Il est fait à chaque instant, […]  ce qui nous a valu quelques déboires parce que faire tourner entre 30 et 40 sons en temps réel sur des appareils mobiles, ce n’est pas évident. Nous avons passé un temps fou à optimiser l’application. Au début les téléphones crashaient au bout de deux ou trois minutes dans le parc (la première scène de l’expérience, ndla) ».

Proposer un univers sonore aussi riche et qui s’ajuste à chaque instant en fonction de la position de notre regard est un tour de force technique qui donne à Notes on Blindness une grande partie de sa puissance émotionnelle. D’autant plus que ces sons « spatialisés » opèrent un très beau contraste avec la voix de John Hull, qui est elle en mono. Nous avons donc l’impression que ses paroles nous parviennent directement dans notre tête, tandis que l’environnement stimule notre curiosité par ces sons et ces visuels à 360°.

Des tests avaient pourtant été menés pour placer la source de la voix de John Hull juste à côté de notre oreille, comme s’il nous susurrait son histoire en confidence. Mais le résultat était finalement « très dérangeant » selon Amaury. Ce qui montre bien que le son binaural n’est pas une garantie d’immersion en lui-même, encore faut-il l’utiliser correctement.

Le son binaural est-il toujours pertinent ?

Notes on Blindness devrait vous convaincre sans l’ombre d’un doute du pouvoir immersif du son binaural. Malgré les contraintes qui lui sont inhérentes, il est amené à se développer à mesure que la réalité virtuelle prend son envol.

Toutefois, il n’existe pas pour autant de scénario où le son binaural deviendrait omniprésent. Pour Amaury, son utilisation doit répondre à une démarche artistique qui n’est pas toujours compatible avec tous les genres et tous les supports.

« Avec la réalité virtuelle, le son binaural est génial : on a à la fois la profondeur visuelle et la profondeur audio. […] Dans d’autres expériences immersives comme le jeu vidéo, je pense aussi qu’il peut être bénéfique et aider à donner plus de plans et de profondeur à l’expérience.

Dans un lieu avec une belle acoustique, le binaural peut avoir du sens pour de la musique classique par exemple. Par contre, est-ce que ça vaut le coup de produire de la pop en binaurale ? Je sais pas. En tout cas aujourd’hui je n’ai pas entendu beaucoup de choses convaincantes.

Forcément, pour l’horreur, cela peut être approprié. L’horreur en 360 est un marché de niche mais le son binaural est dans ce cas vraiment adapté. […] En revanche sur un format cinéma ou sur une série comme The Walking Dead, est-ce que j’ai envie d’avoir du son binaural avec une image plate devant ? Je ne suis pas très convaincu. »


Les utilisations du son binaural sont donc encore à défricher, n’hésitez donc pas à vous interroger sur sa pertinence pour votre prochain projet. D’ici là, téléchargez donc Notes on Blindness et je vous conseille également de jeter un oeil à la série Burkland de la RTBF, l’une des premières du genre à bénéficier d’un tel traitement sonore. Vos oreilles vous en remercieront…

Si cet article vous a été utile, jetez un oeil à mes livres sur les nouvelles narrations et rejoignez ma page Facebook pour davantage de contenus.

1 comment

  1. Comment by Sarah Beaulieu

    Sarah Beaulieu 26/01/2017 at 12:33

    L’expérience du jeu « A blind legend » vaut aussi le coup… !

Comments are closed.

Close
Go top