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Le travail sur le son peut parfois faire la différence entre une belle oeuvre et une oeuvre magistrale. Et pourtant il est d’usage de dire – dans le monde de l’audiovisuel notamment – que le son est relégué au rang de parent pauvre, qu’il est le premier à souffrir en cas de réduction budgétaire…

La création nouveaux médias va donner aux artisans du son de nouvelles opportunités pour s’exprimer, des nouveaux formats où le son peut jouer un rôle plus important, voire dominant. Le son s’est très vite imposé dans les nouvelles écritures comme un vecteur puissant d’immersion, je vous propose aujourd’hui un tour d’horizon de ses utilisations diverses et variées.

La valorisation du son par l’interactivité

Commençons donc par les expériences où le son est placé au coeur de l’interaction. Le son y devient le déclencheur de l’expérience, il guide les choix de l’utilisateur ou les récompense.

Un très bel exemple de cette dynamique vertueuse entre son et interaction se retrouve également dans le projet Le Grand Orchestre des Animaux, réalisé d’après le travail subtil du bioacousticien Bernie Krause.

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Vous y retrouvez des paysages sonores, capturés dans des zones où la nature règne. Les sons élémentaires, végétaux et animaux sont disposés en un cercle au centre duquel vous vous trouvez. Vous pouvez ainsi invoquer les différents « musiciens » de cet orchestre naturel et apprendre à les reconnaître.

Avec une démarche similaire de sensibilisation du public à certains sons inhabituels, l’application BeatBox Maker (2016) permet quant à elle de s’initier et de s’exercer à la pratique du beatbox de façon extrêmement ludique.

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Vous y enregistrez régulièrement des sons avec votre bouche pour progresser dans l’expérience (que vous pourrez d’ailleurs réutiliser plus tard pour créer vos propres morceaux…). La production de ces sons devient donc la but de l’expérience et vous êtes récompensés par votre capacité à les maîtriser.

Cet aspect « production sonore » est également au coeur d’une autre application : Soundhunters (2015), une expérience qui propose aux utilisateurs (en parallèle de contenus documentaires) de capturer des sons de leur environnement et de les partager à la communauté, qui peut alors les mixer en des créations sonores originales.

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Une dernière création pour clore ce premier panel de projets ayant pour thème principale la musique et les sons : Because Recollection (2015), produit en célébration des 10 ans de la célèbre maison d’édition musicale.

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Vous pouvez zapper d’un titre du catalogue à un autre et, lors de l’écoute du morceau, interagir de façon ludique avec un visuel inspiré de la pochette de l’album… Une expérience excentrique et sonore qui a en plus le bon goût de proposer une (ré)écoute différente d’un riche catalogue musical.

Les clips interactifs : des concepts interactifs décomplexés

Dans la lignée du travail réalisé pour Because Recollection, de nombreux artistes, généralement parmi les plus connus, ont eu droit à un traitement interactif pour leur clips.

Le plus précurseur en la matière est probablement le groupe de rock canadien Arcade Fire qui s’est associé à deux réalisateurs et créateurs interactifs parmi les plus innovants : Chris Milk pour le clip The Wilderness Downtown (2011) et Vincent Morisset pour Just a Reflektor (2013).

Dans The Wilderness Downtown, l’utilisateur renseigne l’adresse de son lieu de naissance et contemple ensuite un clip qui ouvre de multiples onglets pour avancer. Parmi ces onglets, nous retrouvons de pure créations visuelles mais aussi des vues Google Earth et Google Maps de notre maison d’enfance.

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Just a Reflektor (2013) est une expérience bien différente puisqu’elle vous propose d’utiliser votre mobile comme une surface réfléchissante qui révèle, distord et anime l’image sur votre ordinateur.

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Une expérience difficile à appréhender pour le public, que ce soit en termes d’accès (il faut avoir un ordinateur et un smartphone sous la main) que d’usages (il faut également synchroniser les deux machines et assimiler le mécanisme interactif).

Il semble que pour ces clips interactifs, l’enjeu ne soit pas exclusivement l’accessibilité mais aussi une dimension de performance, la recherche d’un effet de sidération par l’innovation débridée dont l’oeuvre fait preuve. D’ailleurs, bon nombre de concepts interactifs ayant été utilisés dans des clips se retrouvent également dans des oeuvres narratives de documentaires ou de fiction.

Pour preuve, le clip de Pharell Williams pour son titre Happy (2013), qui permet de naviguer dans 24 heures de vidéos ! En fonction de votre heure de connexion au site, vous serez déposé à un moment précis de la « roue temporelle » qui agit comme le cadran d’une montre.

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Un principe interactif que l’on retrouve dans le documentaire interactif Stainsbeaupays (2013), sorti à peu près au même moment, mais avec un tout autre contenu…

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Même rapprochement possible entre le clip d’Aloe Blacc pour sa chanson Love is the Answer (2014) et la fiction interactive Wei or Die (2015). Dans le premier, vous pouvez choisir entre quatre flux vidéo : un pour chaque protagoniste du clip. Vous agissez alors comme le réalisateur de votre vidéo musicale, alternant entre les différents personnages pour vous créer une expérience singulière.

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Un concept que l’on retrouve autour d’une histoire bien plus sophistiquée dans Wei or Die, où cette alternance entre les points de vue des personnages constitue le coeur d’une expérience interactive hautement immersive sur les dérives d’un week-end d’intégration en école de commerce.

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La liste des expériences musicales interactives d’exception pourrait s’allonger encore longtemps, avec par exemple le clip Just Like a Woman (2016) pour Jeff Buckley ou celui pour The Missing (2016) de Cassius.

Mais la relation entre son et nouvelles écritures est bien plus profonde et il me faut avancer. Il me semblait toutefois indispensable d’insister sur cette grande créativité que l’on rencontre dans le monde du clip interactif. L’une des raisons – au-delà des budgets importants octroyés à la promotion de certains artistes – est selon moi que la prédominance du son permet de libérer une certaine créativité quant à l’image et à l’interaction.

Ce n’est plus à la composante visuelle de l’expérience de conduire le récit. Il est donc d’autant plus aisé de s’extirper d’une certaine grammaire de l’audiovisuel pour développer des oeuvres différentes où le son devient moteur de l’expérience.

Le son libère les créateurs des contraintes de la narration

Si le son est responsable de la narration, la représentation visuelle du récit peut devenir autre, moins figurative, moins évidente.

L’un des exemples les plus précoces de cette possibilité reste Bear 71 (2012), un environnement ouvert dans lequel nous pouvons librement déambuler et interagir. Il n’y a pas de bonne manière de voir Bear 71 puisque quoi que nous fassions, l’histoire de cette ourse vivant dans une vallée transformée par l’Homme nous est contée par une voix off de vingt minutes.

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La représentation visuelle est hautement abstraite car Bear 71 est une oeuvre qui, par le son, stimule l’imaginaire sans avoir besoin de trop mettre en scène ses personnages. L’ourse n’est que rarement visible mais est toujours présente grâce à cette voix qui jamais ne s’interrompt.

Ce même rapport au protagoniste se retrouve dans Alma (2013), le récit documentaire troublant et puissant d’une jeune fille ayant appartenu à un gang au Guatemala. A tout moment, vous pouvez quitter le face-à-face avec Alma pour aller consulter un récit visuel et graphique qui vient se superposer à son visage. Une manière de ne plus avoir à soutenir son regard sans jamais rompre le lien, puisque sa voix n’est jamais coupée par l’interaction.

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Cette capacité à s’affranchir des contraintes « classiques » de la narration, et en particulier de la narration audiovisuelle dans laquelle l’image prédomine quasi-systématiquement, permet aussi de développer de nouveaux types de contenus. A l’heure où la réalité virtuelle explose et se cherche de nouveaux codes, il semble que l’une des façons particulièrement probantes d’inventer de nouveaux univers immersifs soit d’utiliser le son pour conduire le récit.

6×9 (2016) est un exemple saisissant de la force d’une narration sonore en réalité virtuelle. Vous êtes placés dans une cellule d’isolement tandis qu’un narrateur et des interviewés vous décrivent ce qu’il adviendrait de vous dans de telles conditions. Vous déclenchez également des sons et voix-off en regardant dans certaines directions. Simple mais brutalement saisissant.

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Une autre oeuvre pousse cette logique encore plus loin et bouleverse en profondeur la façon dont se conçoivent d’ordinaire les projets dont l’ADN est celui de l’audiovisuel. Dans Notes on Blindness (2016), l’expérience est conduite par le son qui, à son tour, appelle une représentation visuelle qui est donc générée en temps réel.

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Le récit de John Hull, qui documenta sur cassettes audio dans les années 1980 sa descente progressive vers la cécité appelait nécessairement à une expérience où le son est maître. Un son qui entre donc en symbiose avec l’image qui le sert, et non pas l’inverse.

Quand le son se détache du visuel

Certaines oeuvres renversent encore plus « l’équilibre des pouvoirs » entre sonore et visuel en occultant (quasi) totalement l’aspect visuel pour ne garder que le son. Je ne mentionnerai que rapidement l’incarnation évidente de cette logique : les podcasts qui connaissent un engouement soutenu depuis la diffusion hautement populaire de Serial (2015) outre-Atlantique, et cela ne risque pas de s’arrêter.

D’autres oeuvres plus interactives vont dans la même direction. Citons pour l’exemple A Blind Legend (2015), une aventure audio à vivre les écouteurs dans les oreilles. Vous y découvrirez un univers médiéval en incarnant un héros aveugle. L’application n’offre donc presqu’aucun visuel et toute la narration repose sur un son binaural de belle facture pour vous guider.

Même chose avec Sur les Bancs (2015), une oeuvre radiophonique mobile qui vous propose de vous rendre dans un des quatre grands parcs parisiens et de vous installer confortablement sur un de ses bancs.

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En branchant vos écouteurs, vous pouvez alors écouter une fiction, une discussion entre des personnages de l’histoire en cours. Grâce au son binaural, recréant la sensation d’un environnement sonore en trois dimensions, vous avez le sentiment de véritablement avoir à vos côtés des voisins de bancs qui conversent…

Le son binaural, figure de proue des innovations sonores

Avec l’essor de la réalité virtuelle, une technologie pas-si-nouvelle regagne un très fort intérêt : le son binaural. Il s’agit d’un son qui reproduit la sensation tri-dimensionnelle de l’écoute naturelle humaine : dans la vie réelle, vous êtes capable de percevoir si un son provient de votre gauche, droite, de devant ou de derrière. Le son binaural permet à quiconque est muni d’un casque de retrouver ces sensations. Pour mieux comprendre comment fonctionne le son binaural, voyez donc cet article.

Parmi les projets que nous avons déjà évoqué, Notes on Blindness propose un tel traitement sonore, à l’instar de nombreuses oeuvres de réalité virtuelle qui superposent une image à 360° avec un son à 360° pour davantage d’immersion.

Mais le son binaural s’utilise également de plus en plus dans des oeuvres adaptées pour mobile, puisqu’il est commun que les utilisateurs de smartphone aient aussi à portée de main des écouteurs, indispensables pour apprécier ce son particulier. C’est donc le cas de A Blind Legend et de Sur les Bancs, mais aussi d’oeuvres audiovisuelles comme Burkand (2016), une websérie belge dans laquelle ce son renforce la tension et l’angoisse que l’on ressent devant ce monde frappé par une étrange contamination.

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Dans Tantale (2016), une fiction interactive où vous incarnez le Président et essayez de négocier l’obtention de Jeux Olympiques pour la France, certains passages utilisent du son binaural : ceux où vous devez faire des choix au nom du personnage principal.

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Nécessairement plus coûteux qu’un son stéréo, le son binaural est un investissement qui va dans le sens d’une recherche permanente d’une plus grande immersion. Plus réaliste, le son prend ainsi une dimension « physique », presque palpable.

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1 comment

  1. Comment by Jean-baptiste Sauret

    Jean-baptiste Sauret 16/09/2016 at 08:37

    Merci pour cet article. L’écriture sonore a de belles années devant elle.

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