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« Il était une fois une série d’articles sur la fiction interactive…« . Il y a deux ans, je publiais une histoire de la fiction interactive, sans jamais lui donner suite ! Je reprends le cours de cette série d’articles seulement aujourd’hui, mais ce n’est peut-être pas plus mal : beaucoup de belles choses se sont passées dans ce monde des récits interactifs depuis lors.

Avant d’aborder plus en détails les spécificités de l’écriture et de la production de ces oeuvres – dans des articles à venir prochainement – je voulais tout d’abord passer en revue les différents types de fictions interactives existantes.

De mémoire récente, c’est sûrement l’épisode interactif de la série Black Mirror – baptisé Bandersnatch – qui aura fait le plus parler de lui. Presque à lui tout seul, le petit phénomène signé Netflix a revitalisé le genre, à défaut de le révolutionner.

Les récits à embranchements

Commençons donc avec Bandersnatch, et les histoires dites à embranchements. Dans celles-ci, le public est mis face à des choix (souvent binaires). Chaque décision influe, plus ou moins, sur la suite de l’histoire.

Une structure narrative à la fois complexe à mettre en place – pour les créateurs – et simple à prendre en main – pour le public. Les choix ont vocation à être intuitifs, instinctifs et peu nombreux, histoire de ne pas paralyser l’utilisateur et de préserver la fluidité du récit. D’ailleurs, dans bon nombre de films interactifs et de jeux, ces choix sont souvent faits sous la pression d’un compte à rebours.

Choix après choix, c’est une vériable arborescence de l’histoire qui se dévoile. Le contrat implicite de ce genre d’oeuvres est bien sûr qu’il existe plusieurs parcours et plusieurs fins. Les graphiques tentant de cartographier les différentes fins d’une fiction à embranchement font d’ailleurs partie du « folklore » du genre.

La structure narrative de Bandersnatch. En rouge, les fins disponibles. En bleu, les choix.

Il a ainsi fallu quatre petites heures pour que les spectateurs de Bandersnatch mettent à jour les treize fins disponibles dans l’expérience. Une visualisation de l’arborescence à double tranchant toutefois, puisqu’elle révèle aussi le faible niveau d’interactivité du film…

Car il se passe parfois cinq à sept minutes entre deux choix importants, et bien rapidement, vous aurez l’impression d’être dans un tunnel : peu importent vos choix, vous finissez toujours au même endroit. En ce sens, Bandersnatch manquera les esprits pour son retentissement et sa bonne distribution… mais pas par sa sophistication !

Pour repousser les limites et les codes des récits à embranchements, mieux vaut se tourner vers d’autres classiques du genre comme The Stanley Parable (2013), une mise en abyme de la notion de choix et de libre arbitre par le jeu.

Si vous voulez découvrir l’arborescence de Stanley Parable, elle est disponible ici.

Late Shift (2016), une expérience à vivre collectivement, dans une salle de cinéma. A chaque choix, tout le monde dans la salle vote grâce à son téléphone et la majorité l’emporte.

Pour une étude de cas complète de Late Shift, vous pouvez lire cet article.

Ou encore Detroit: Become Human (2015), un jeu dans lequel l’arborescence fait même partie intégrante de l’expérience : après chaque chapitre, vous découvrez les chemins empruntés… et les chemins délaissés, pour mieux vous inciter à y revenir.

L’arborescence très « transparente » de Detroit: Become Human.

Ce qui se révèle, oeuvre après oeuvre, c’est que proposer des choix engageants est une entreprise plus complexe qu’il n’y parait. Au-delà du « oui ou non », « gauche ou droite », il y a un savoir faire bien particulier qui permet de rendre les choix impliquants et émotionnellement tortueux pour l’utilisateur.

Les histoires à embranchement sont aussi vieilles que la fiction interactive : le premier livre interactif était bati sur ce modèle, le premier film interactif l’était aussi, les premiers jeux vidéos où l’histoire était prépondérante également.

Pour découvrir d’autres fictions à embranchements, vous pouvez jeter un oeil sur Oxenfree (jeu vidéo, 2016), Choose Your Own Adventure (récits audio interactifs, 2018), Lifeline et L’Infiltré (jeux textuels, 2015 et 2017) ou encore Erica (film interactif, 2019).

Aujourd’hui, la formule est éprouvée. Le public sait et à envie de consommer de telles oeuvres arborescentes. Pour autant, cela ne veut pas dire que la fiction interactive n’a pas su trouver d’autres formes tout aussi passionnantes.

Les récits linéaires

Voyageons maintenant de l’autre côté du spectre. Après les récits complètements éclatés, avec plusieurs fins, concentrons-nous sur ceux qui restent au plus près des règles de la narration classique : un début, un milieu, une fin.

Si elle n’impacte pas la structure du récit, l’interactivité se trouve donc ailleurs. Le plus souvent, elle va prendre un rôle sensoriel ou émotionnel. Elle va venir accompagner le récit, sans le perturber ou le délinéariser.

C’est par exemple le cas de Florence, un jeu dans lequel vous découvrez l’histoire d’un couple, de sa rencontre à sa séparation.

Ici, vous n’influerez pas sur la suite de l’histoire, vous n’aurez pas plusieurs fins. Vous interagissez simplement avec vos doigts sur l’écran lors de mini-jeux qui n’ont absolument rien de compliqué. Une simplicité extrême qui préserve ainsi votre capacité de concentration pour l’histoire racontée :

La beauté de ce genre de fictions interactives linéaires dépend donc de la « justesse » de ces interactions symboliques.

Beaucoup d’oeuvres en réalité virtuelle empruntent d’ailleurs cette logique : vous y contemplez librement l’environnement qui vous entoure, puis vous devez réaliser de temps en temps des actions qui permettent de déclencher la suite.

Dans le documentaire en réalité virtuelle Spheres (2019) par exemple – dans lequel vous decouvrez les mystères des planètes et de l’univers – vous pouvez régulièrement « jouer » avec vos mains, tantôt pour créer des aurores boréales, tantôt pour provoquer la rotation des planètes autour du Soleil, etc.

Un ballet spatial délicat que vous conduisez du bout des doigts… Et qui prouve, comme tant d’autres oeuvres, que la linéarité n’est pas l’ennemi de l’interactivité !

Pour découvrir d’autres fictions à embranchements, vous pouvez jeter un oeil sur Emma (roman graphique interactif, 2018), Protanopia (BD interactive, 2017) ou encore un grand nombre d’oeuvre en réalité virtuelle, que vous pouvez retrouver ici.

Les récits parallèles

Sortes d’hybride entre les récits à embranchement et linéaires, les récits parallèles ne vous laissent pas choisir la suite de l’histoire, mais plutôt votre point de vue sur l’histoire. Un sous-genre popularisé en grande partie par des clips musicaux interactifs – aussi curieux que cela puisse paraître – comme le très remarqué Like a Rolling Stone (2013) de Bob Dylan.

Dans ce clip interactif, la chanson se fait entendre et vous avez à l’écran une interface reproduisant une fausse télévision. Vous pouvez à tout moment changer de chaîne. Vous passez ainsi d’une émission de cuisine, au JT, à un dessin animé pour enfants, etc. Et toutes les personnes dans ces émissions prononcent les paroles de la chanson en parfaite synchronisation :

L’idée au coeur de ces expériences est simple : faire avancer des histoires en parallèle les unes des autres. Des histoires qui partagent donc une forme d’unité de temps : si vous regardez un flux vidéo, vous manquerez donc nécessairement ce qui se passe sur les autres…

Un concept qui a été appliqué à bien d’autres formes de récits plus construits. Récemment, on relèvera la sortie de République (2019), une fiction interactive dans laquelle vous vivez un soir d’attentat à travers trois flux vidéos en direct (direct simulé bien évidemment, puisqu’il s’agit d’une pure fiction) :

Disponible sur mobile, le film vous permet de passer d’un flux vidéo à l’autre d’un simple glissement du doigt sur l’écran, pour ainsi comprendre comment les personnages voient leurs destins s’entrecroiser :

Et donc, à chaque fois que vous allez suivre l’une des trois actions, vous allez nécessairement manquer une partie des deux autres. Choisir, c’est renoncer, n’est-ce pas ?

A la fin de l’expérience, vous pouvez d’ailleurs visualiser ce que vous avez visionné et ce que vous avez manqué :

Ce genre de dispositif est encore très rare dans le monde documentaire, mais beaucoup plus courant dans celui de la fiction, sans doute parce qu’il offre ce compromis entre maîtrise de la linéarité du récit – pour les créateurs – et sensation d’exploration – pour les utilisateurs.

Pour découvrir d’autres fictions parallèles, vous pouvez jeter un oeil à Wei or Die (film interactif, 2015), Possibilia (film interactif, 2016) ou encore Cassius: The Missing (clip interactif, 2016).

Les récits en constellation

Ces expériences sont probablement les plus déroutantes, les plus éloignées des règles de la narration classique. Elles présentent généralement une multitudes de séquences, à visionner sans ordre déterminé.

Le rôle du spectateur est donc, en quelque sorte, de reconstituer le puzzle narratif qui lui est présenté. Un exemple fascinant – et assez jusqu’au-boustiste il faut bien l’avouer – est Telling Lies (2019).

Vous vous y retrouvez devant l’interface d’un ordinateur, sur lequel se trouvent des centaines de vidéos. Des vidéos piratées et volées aux quatre protagonistes principaux d’une histoire tragique (je ne vous spoile pas le mystère…).

En tapant un mot-clé dans une barre de recherche, vous pouvez visionner les vidéos dans lesquelles ce mot est prononcé :

Aucune séquence de visonnage ne vous est imposée, aucun ordre apparent ne doit être respecté. Vous allez voir les vidéos dans un désordre total, ce qui est au début profondément troublant. Et puis, progressivement, vous allez connecter les bribes d’information dans votre esprit, reconstruire l’histoire dans son ensemble.

Pour en savoir plus, vous pouvez lire une étude de cas complète de Telling Lies.

Voilà une expérience somme toute complexe à prendre à main, qui ne vous propose pas une expérience facile à tout prix, bien au contraire. Elle récompense en revanche votre abnégation et votre curiosité, et c’est bien là la raison de son succès. Car si nous adorons souvent être pris par la main, nous aimons, parfois aussi, être stimulés, être mis à l’épreuve.

C’est ici que l’on remarque à quel point la fiction interactive et le jeu vidéo sont des genres aux frontières perméables. Et ce n’est a priori que le début, tant ces formes de créations semblent avoir le vent en poupe désormais !

Un univers créatif en expansion

Cette diversité de la fiction interactive semble désormais transcender les supports et les approches créatives. Tous les genres y passent, de la comédie aux drames. Tous les supports y passent, des salles de cinéma aux mobiles en passant par les consoles et les casques de réalité virtuelle.

Le mariage de l’interactivité et de la fiction est désormais amplement consommé. Il ne reste plus qu’à donner au public ce qu’il attend, ce que de plus en plus d’acteurs majeurs du marché s’apprêtent à faire…

Ne manquez pas les prochains articles de cette série sur la fiction interactive en vous inscrivant gratuitement à La Lettre des Nouvelles Narrations. Le prochain article concernera les techniques d’écriture et de conception de ces oeuvres si particulières.

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