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Article originellement publié sur le blogue du Fonds des Médias du Canada.

Produire et diffuser une œuvre étaient auparavant deux disciplines très nettement réparties entre le producteur et le média émetteur. Dans un monde numérique, la distinction n’est plus si nette, car la diffusion est devenue une variable parmi tant d’autres. Les possibilités en matière de distribution sont extrêmement nombreuses, et ce qui est pertinent pour un projet ne le sera pas nécessairement pour un autre.

Alors, comment s’y retrouver? Voici quelques conseils pour mettre en place une stratégie pertinente pour chaque projet sans gaspiller vos moyens de communication dans des activités qui n’atteignent pas le public auquel il est destiné.

La fin de la publicité?

Je rencontre Julien Aubert, fondateur de Bigger than Fiction, une agence parisienne qui se spécialise dans les dispositifs de communication innovants pour les œuvres culturelles et qui se double aujourd’hui d’une activité de production.

Il m’avertit d’emblée : les campagnes display – soit la publicité sur des sites tiers sous forme de bannières et apparentées –, c’est fini!

« Nous en faisons de moins en moins. Ce n’est pas rentable du tout, les gens n’y font pas attention, ils ne cliquent pas. Et c’est beaucoup de travail : pour une campagne, il faut travailler avec trois ou quatre régies! À l’inverse, Facebook est très simple d’utilisation et beaucoup plus efficace en termes de ciblage. »

Bigger than Fiction travaille aussi bien pour le compte de diffuseurs traditionnels souhaitant faire parler de leurs programmes en ligne que de projets 100 % numériques qui devront se trouver un auditoire.

Pour Julien, une campagne peut notamment faire appel à trois composantes : de l’achat média sur les réseaux sociaux, des partenariats de contenus avec des médias pertinents et des stratégies auprès d’« influenceurs » qui s’appuient surtout sur les nouvelles voix du web (les Youtubers, Instagrameurs et ainsi de suite).

Se tourner vers les réseaux sociaux

Je comprends rapidement que, si l’achat de publicité sur Facebook et les consorts n’est pas forcément la dimension la plus originale, elle reste toutefois incontournable.

« Nous réalisons toujours, pour le compte de producteurs qui ont une petite enveloppe de communication, des opérations de publication sur les réseaux sociaux et d’achat média. Nous avons fait cela pour le projet de réalité virtuelle The Enemy. Nous avons réfléchi avec eux à une narrative sur Facebook et nous avons procédé à une planification conversationnelle d’une vingtaine de publications sur plus d’un mois. Sur cette base, nous avons lancé une campagne d’achat média directement sur Facebook. »

Et les autres réseaux sociaux alors? « Twitter est aussi assez rentable, mais c’est un réseau qui perd beaucoup en engagement. Le nombre de gazouillis et de retweets, le temps passé par les utilisateurs, tout est à la baisse. C’est un réseau en déclin, mais qui ne mourra pas, car il reste très utile pour les professionnels qui cherchent certains renseignements. Malheureusement, c’est un média qui ne sera jamais grand public.

Instagram commence à bien fonctionner sur le plan promotionnel, de par sa pénétration parmi les jeunes et parce qu’il partage sa plateforme d’achat média avec Facebook!

Quant à Snapchat, c’est un réseau compliqué, car on ne peut pas partager les contenus d’autrui, comme dans le cas d’un retweet sur Twitter par exemple, ou encore connaître le rendement de telle ou telle publication. Donc, on ne voit pas beaucoup de campagnes sur ce réseau, qui montre lui aussi quelques signes de faiblesses devant la montée d’Instagram. »

L’hyperconcentration de la puissance marketing de Facebook (et de son poulain Instagram) est frappante. Et si elle pose des problèmes sociétaux qui ne sont pas l’objet de cet article, elle est à coup sûr une aubaine pour celles et ceux qui souhaitent faire parler d’une œuvre numérique.

Miser sur des partenariats

« Avant, on cherchait plutôt à communiquer from scratch, à faire un site évènementiel pour attirer l’attention, me rappelle Julien. Nous nous apercevons aujourd’hui qu’il y a des médias déjà très suivis, comme Konbini, Merci Alfred, My Little Paris, MinuteBuzz… Des sites qui enregistrent des millions de vues par mois et sur lesquels le public a déjà ses habitudes. Notre stratégie est devenue de nourrir les canaux que le public utilise déjà. »

C’est une « recette » que Bigger than Fiction développe depuis un moment. Pour promouvoir le film interactif Wei or Die, diffusé à la fin 2015 par France Télévisions, l’agence avait conclu cinq partenariats de contenu avec cinq médias français influents. En échange du droit de diffusion de l’œuvre sur leur site, ces cinq partenaires avaient produit des contenus abordant la thématique portée par l’œuvre (les week-ends d’intégration étudiants).

« Cette démarche est proche de la publicité native. Le but est de faire parler du projet, mais dans un article, un contenu éditorial produit par le média lui-même, avec son propre ton. C’est bien plus que des relations publiques! »

Pour leur BD Été, diffusée sur Instagram et coproduite avec le diffuseur public Arte, Bigger than Fiction remet le couvert avec quatre partenaires très influents sur le réseau social. L’accord? « Ils publient trois fois nos récits sur leurs propres comptes Instagram dans le but de faire migrer les abonnés de leur compte vers le nôtre. Le magazine Les Inrocks nous consacre aussi une double page dans son édition papier. En échange, nous leur offrons à chacun cinq placements de produits. Ce sont les auteurs eux-mêmes qui ont décidé des placements de produits, pour que cela ne gêne pas leur récit, que ça soit fait de façon intelligente, discrète. »

Le but recherché n’est donc pas de pousser des médias à recopier et à relayer un communiqué de presse, mais de les associer à une démarche créative globale : leur proposer une occasion de création de contenu original et les accompagner dans leur production. Si les médias les plus établis privilégient encore souvent leur régie publicitaire classique, bon nombre de publications répondent favorablement à ces partenariats axés sur le contenu.

Faire appel à des « influenceurs »

Et c’est sans compter sur les influenceurs du web, à qui Bigger than Fiction fait de plus en plus appel pour ses campagnes. Instagrameurs, Youtubeurs et Snapchateurs cumulent des centaines de milliers, voire des millions, d’abonnés. Leur puissance médiatique est comparable en volume à celle de certains médias… Cela a donc de la valeur.

« Pour qu’un Instagrameur ayant plus de 500 000 abonnés travaille pour toi sur une opération une journée, il faut compter 5000 euros. C’est une moyenne. C’est coûteux, mais cela fonctionne : ce qui est extraordinaire avec eux, c’est l’engagement qu’ils obtiennent sur leurs publications. La moindre publication récolte 20 000 mentions “J’aime” immédiatement! Il se passe vraiment quelque chose entre eux et leurs communautés. »

Par exemple, pour le documentaire Espace : l’Odyssée du Futur de la chaîne Planète+, l’agence a organisé un événement Facebook Live d’une durée de 2 h 30 avec quatre Youtubeurs. « Nous avions loué un studio dans lequel nous avions reproduit la Station spatiale internationale pour organiser le “Facebook Live en duplex depuis l’espace”. Nous avons obtenu 850 000 vues en une journée et le contenu a beaucoup plu au diffuseur, qui apprécie l’équilibre entre un aspect ludique et un aspect pédagogique. »

L’influence a toujours été la monnaie d’échange de tout média. De ce point de vue, rien n’a changé. Ce qui a changé, toutefois, ce sont les détenteurs de cette influence : nouveaux médias 100 % web, voire 100 % réseaux sociaux, simples individus…

L’équation peut alors sembler théoriquement simple : pour faire parler d’une œuvre, il suffirait « d’emprunter » l’influence des autres. Le savoir-faire d’une agence comme Bigger than Fiction tient donc aujourd’hui moins de sa capacité d’acheter de l’espace publicitaire que de celle d’intégrer un réseau d’influenceurs et de partenaires potentiels dans une démarche créative originale.

Créer sa propre communauté?

Voilà une stratégie communément évoquée autour des œuvres nouveaux médias : consolider un public potentiel en une communauté, réunie sur l’un ou l’autre réseau social.

Toutefois, à quoi bon déployer tant d’efforts pour créer ex nihilo une communauté nouvelle pour une œuvre somme toute éphémère? Bon nombre d’œuvres innovantes se consomment en une fois et leur temps d’exposition est de quelques semaines tout au plus. A-t-on alors vraiment le temps de fonder une communauté forte?

Certes, la plupart des projets créatifs numériques ont leur page Facebook, mais combien dépassent les milliers d’abonnés? Dans la plupart des cas, l’apport des auditoires de ces pages propriétaires sera bien maigre devant l’aura des médias diffuseurs.

Il existe toutefois des exceptions notables. Ces communautés ad hoc peuvent être vitales pour certaines œuvres participatives ou des projets à très long terme.

C’est le cas d’un programme récurrent comme Datagueule. Le programme est diffusé depuis 2014 sur YouTube et cumule plus de 330 000 abonnés (en date de juillet 2017), auxquels s’ajoutent 100 000 fans sur Facebook. Cette communauté joue ici un rôle fondamental dans la circulation des épisodes du programme et a été très mobilisée lorsque les créateurs de Datagueule ont lancé une campagne de financement participatif en vue de la production d’un documentaire indépendant de 90 minutes sur la démocratie. Ils ont amassé 243 000 euros en un mois.

La constitution de communautés est aussi très fréquente dans le monde du jeu vidéo, où les œuvres ont un temps de vie bien plus long que celui d’œuvres audiovisuelles.

Francis Ingrand, distributeur de jeux vidéos avec sa société Plugin Digital me précisait dans un précédent article que « quand nous pouvons animer une communauté, c’est un vrai plus! Certains jeux à l’univers très identifié s’y prêtent bien. Par exemple, les jeux du genre heroic fantasy, très noir, avec des orques et des gobelins… »

Parmi les méthodes de communication qu’utilise Plugin Digital pour distribuer ses jeux, nous retrouvons des méthodes de marketing influenceur similaires à celles de Bigger than Fiction.

« Nous utilisons toutes sortes de plateformes communautaires, de Facebook à Reddit en passant par Twitch, ainsi que des sites d’informations et des blogues. Nous diffusons parfois des vidéos avec des Youtubeurs et des Twitcheurs spécialisés dans certains types de jeux.

Nous identifions aussi parfois des communautés qui ne sont pas liées au jeu, mais à son univers littéraire ou musical, par exemple. Ce travail d’identification des communautés ciblées, nous l’effectuons à l’interne pour chaque jeu. Cela prend du temps, mais c’est le fondement de notre métier! »

Le contenu demeure roi

Toutes ces stratégies ont un seul véritable point en commun : la création de contenu original. Il est devenu fondamental de penser la communication comme une partie intégrante du processus de création et de production. Le succès d’une œuvre numérique dépendra donc du soin apporté, à toutes les étapes de la production, à faciliter sa circulation.

A-t-on soigneusement choisi la ou les plateformes de diffusion? A-t-on intégré, dans l’œuvre elle-même, des mécanismes permettant le partage ou incitant au partage ? A-t-on bien identifié les bons coproducteurs, partenaires ou influenceurs ? Ce sont autant de questions à ne surtout pas laisser en suspens ou à reléguer aux toutes dernières semaines de la production d’un projet.

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