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Depuis 2013, nous avons pris l’habitude avec les amis de Storycode Paris d’organiser de nombreux workshops et hackathons d’écriture interactive et transmedia. Le concept est simple: réunir des profils variés — auteurs, game designers, journalistes, documentaristes, designers, développeurs, producteurs, éditeurs… — et leur faire concevoir en deux ou trois jours des projets de storytelling innovants à partir d’un simple thème gardé secret jusqu’au dernier moment.

Les idées de base — qui tiennent généralement en une ou deux phrases — sont ensuite travaillées, repensées, augmentées, reprises, modifiées, sublimées avant d’être présentées à un jury de décideurs bienveillants.

Cet article ne décrit pas la logistique de tels évènements mais plutôt quelques observations sur la dynamique des groupes de travail. Comment se construisent-ils ? Comment organiser leur flux de travail ? Comment améliorer leur créativité ?

Une dynamique de groupe, ça se construit…

C’est un des pères fondateurs de la dynamique de groupe — Kurt Levin — qui a précisé ce qu’impliquaient ces deux mots juxtaposés. Pour paraphraser, la dynamique d’un groupe est un ensemble d’activités cohérentes qui, une fois réalisées, conduiront le groupe — un ensemble social d’au moins deux individus qui partagent des valeurs, des aspirations et un but communs — à atteindre leurs objectifs.

Les travaux de Levin ont permis de démontrer que, pourvu que les bonnes conditions soient réunies, et selon ses propre mots: « Le tout est autre que la somme de ses parties ».

Egalement sous-entendu: constituer un groupe n’est pas le plus compliqué ; lui donner une dynamique vertueuse est le véritable challenge, notamment lorsqu’il s’agit de faire collaborer des personnes créatives. Car avant qu’ils ne partagent des “valeurs, aspirations et un but communs”, il y a un certains nombre de paliers à franchir.

Un autre chercheur nommé Tuckman a développé un modèle décrivant les inévitables étapes avant qu’un groupe ne devienne « performant » :

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1. Formation : des individus se réunissent autour d’une idée et apprennent à se connaitre, ils étudient leurs comportements, leurs personnalités ainsi que les forces et faiblesses de chacun. Ils se donnent des objectifs précis à réaliser et établissent les plans nécessaires à leur réalisation.

2. Construction : le groupe apprend à travailler ensemble. On cherche souvent à imposer ses idées. C’est le moment inévitable de la confrontation (plus ou moins forte selon les personnalités en présence) et des échanges…

3. Normalisation : le groupe résout progressivement ses conflits et challenges d’organisation — souvent sous l’impulsion d’une personnalité parmi les plus fortes — et normalise son fonctionnement.

4. Performance : si la personnalité dominante lâche le contrôle et si les autres s’affirment et prennent leur place légitime, l’équipe entre dans une démarche collaborative et devient performante. Le groupe se connaît et sait fonctionner de manière efficace. Tous les membres se mettent à réaliser leurs fonctions respectives et à interagir de manière plus naturelle.

5. Dissolution : le groupe ayant réalisé son objectif, il peut désormais être dissout.

Lorsque l’on est en charge de dynamiser une équipe créative, l’enjeu est donc de parvenir au stade de la performance au plus vite et il y a de nombreux moyens d’y parvenir (voir-ci-dessous). Mais sauter les étapes serait à la fois peu probable et profondément imprudent. Chacun à besoin de se positionner, de percer un certain nombre d’abcès, de construire sa propre dynamique de travail avant de pouvoir se sentir partie d’un tout.

Comment faire entrer une équipe créative dans un état de flow collectif?

Pour les passionnés des nouvelles écritures, vous êtes peut-être déjà tombés sur l’article Théorie du flow et webdocumentaire de Florent Maurin, qui s’inspirait notamment des travaux d’un chercheur au nom tellement-hongrois-que-c’en-est-pas-drôle : Mihály Csíkszentmihályi. Des travaux axés notamment sur le bonheur, et comment il devient plus intense lorsqu’une personne entre dans un état de flow, à savoir un état de concentration ou d’absorption complète dans une activité.

Et il s’avère qu’au-délà du flow personnel, Csíkszentmihályi a étendu sa théorie jusqu’au flow de groupe en s’interrogeant sur les conditions dans lesquelles les membres d’un groupe devenaient individuellement et collectivement plus efficaces.

Les conditions d’apparition du flow collectif

Pour Csíkszentmihályi, une dynamique de groupe forte peut déclencher chez ses membres un état individuel de flow. Pour cela, le groupe doit présenter les caractéristiques suivantes :

1. Un aménagement spatial propice à la créativité : des chaises, despaperboards et autres tableaux aimantés, mais pas de tables ; ainsi le travail est réalisé principalement en étant en mouvement ou debout.

2. Un “design récréatif” via l’affichage de diagrammes, croquis, dessins, des pistes de réflexion et la valorisation des “grains de folie” (en gros n’empêchez pas systématiquement les gens de rigoler un coup…)

3. Une atmosphère ouverte et protectrice ; où tous les membres ont la possibilité de proposer des idées et où toutes celles-ci sont bonnes à entendre.

4. Un travail organisé et parallèle ; où chacun contribue en fonction de ses compétences spécifiques et où ces spécialités sont considérées comme des opportunités et non un obstacle.

5. L’existence de “focus groups” et de mentors, à savoir des membres externes au projet pouvant apporter un retour pertinent et immédiat sur le travail en cours.

6. La création de prototypes, maquettes, démonstrations ; pour confronter les idées à leur incarnation concrète.

7. Une visualisation de l’avancement du travail ; qui montre clairement ce qui a été accompli et ce qu’il reste à faire (un tableau à trois colonnes “A faire”, “En cours” et “Fait” peut suffire).

En organisons des workshops, nous choisissons avec soin le lieu et veillons à l’agencement de l’espace pour que chaque groupe de travail ait son espace. Nous fournissons également des paperboards et un bon gros tas de post-it pour cultiver à la fois un côté récréatif et des outils de visualisation communs à tous. Travailler chacun sur un ordinateur — même avec des outils dits collaboratifs — est un des fléaux qui empêchent l’apparition d’une vraie dynamique de groupe. Et en voici d’autres.

Les obstacles au flow collectif

Aussi intéressantes que les conditions permettant le flow collectif sont celles rendant son apparition impossible. Csikszentmihalyi dresse ainsi une typologie des facteurs “anti-flow” :

1. L’objectif du travail n’est pas clair ; il est indispensable d’expliciter en quoi les tâches à accomplir — même les plus infimes — s’intègrent dans une démarche globale, oeuvrent à un but plus grand que la somme des tâches nécessaires à son accomplissement.

2. Un espace de travail inapproprié ; un groupe travaille mieux s’il ne se sent pas en “représentation”, éviter à tout prix les lieux passants et bruyants et la proximité avec d’autres personnes externes au groupe.

3. L’absence d’un feedback immédiat ; si un membre du groupe doute de la qualité ou de la pertinence de son travail, il préfèrera arrêter dans l’attente d’un feedback plutôt que de s’enfoncer dans ce qu’il imagine être une erreur.

4. Un déséquilibre entre opportunité et capacité ; il sera difficile d’exiger d’un membre de l’équipe qu’il mette à profit ses compétences et son temps si l’opportunité finale ne lui parait pas à la hauteur de son effort et de la complexité de sa tâche. A l’inverse, il ne sera pas motivé par une tâche trop simple ou une sous-exploitation de ses capacités.

Beaucoup de choses à retenir et desquelles se méfier et se prémunir. Mais la plupart de ces règles restent relativement naturelles pourvu que l’on avance avec les 4 principes suivants en tête.

4 principes pour constituer des équipes plus créatives

Imposer la liberté

Je pense que la première préoccupation du chef de projet créatif doit être la préservation d’une atmosphère bienveillante et ouverte de création. Notamment lors des premières étapes de brainstorming, les mauvaises idées n’ont pas besoin d’être montrées du doigt par quiconque pour ne pas être retenues.

Mieux vaut créer une ambiance où l’on n’écrase pas les idées, quitte à donner une chance à certaines auxquelles l’on ne croit pas de prime abord. Creuser une idée moyenne permet parfois de rebondir sur une idée géniale.

Favoriser la complémentarité des profils

Prenons l’exemple d’un groupe qui a la responsabilité de développer un documentaire interactif. Il y a dans ce cas davantage de valeur à réunir auprès du réalisateur un auteur interactif, un designer et un dessinateur plutôt que deux interactifs et un autre réalisateur. Cela semble évident mais ce dernier cas sera nécessairement plus susceptible de générer des problèmes d’égo et de leadership.

Toutefois la cohabitation de profils très variés n’est pas non plus sans risques et impose de nouvelles contraintes. Il devient par exemple important de définir des priorités communes, les responsabilités et prérogatives de chacun et avant tout de développer un langage commun et des liens affectifs… Un processus sûrement plus long pour aboutir à la fameuse normalisation dont je parlais plus haut, mais potentiellement beaucoup plus fertile!

Interagir avec l’environnement du projet

Travailler en vase clos jusqu’à la création de son prototype est sûrement la plus mauvaise des idées. Car il sera trop tard, à la fois logistiquement et émotionnellement, pour tout remettre à plat si les réactions sont négatives à ce stade. Il est primordial d’interagir avec son environnement au plus tôt pour remettre régulièrement en question les directions prises.

Réunir autour du groupe un panel de mentors, de conseillers, une communauté en ligne que l’on peut impliquer dans le processus créatif, est un atout d’une valeur inestimable.

Entretenir ce fameux flow

Une fois que le groupe a appris à se connaitre et à travailler ensemble, il faut préserver l’état de flow ainsi constitué. Il n’a rien de permanent, une fois acquis, il peut facilement se perdre.

Pour cela il faut:

  • maintenir une communication régulière
  • mettre à jour les objectifs communs et les méthodes de travail de manière régulière et concertée,
  • s’efforcer de résoudre rapidement les conflits,
  • préserver un cadre de travail agréable et adapté à la réflexion collaborative
  • et surtout en créer, créer, créer ; mettre les mains dans le cambouis, faire des prototypes, des essais, tout autant pour confronter ses idées au réel que pour se faire tout simplement plaisir.

En espérant que ces quelques réflexions vous aident à atteindre une plus grande créativité et tranquillité d’esprit!

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